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Mesure compensatoire : l'exemple en faveur de l'aigle royal dans les Pyrénées-Orientales

Éolien terrestre
5 août 2025

Entretien avec Isabella Rubini, Chargée d’études environnementales chez ERG France, sur la prise en compte de l’impact sur la biodiversité lors de l’implantation ou de l’exploitation d’un parc éolien. Focus sur la Mesure Compensatoire mise en place en en faveur de la conservation d’espaces de chasse pour l’Aigle royal dans la Forêt domaniale du Bas-Agly.

Peux-tu présenter ton parcours et ce qui t’a amené à travailler sur ce type de projet ?

J’ai toujours été passionnée par la science et la nature. J’ai étudié l’écologie et la gestion des écosystèmes, en me spécialisant en conservation de la biodiversité grâce à un master. Ensuite j’ai travaillé chez des développeurs d’énergies Renouvelables et dans une ONG de conservation de l’environnement, toujours en lien avec les Energies Renouvelables et la biodiversité. Ce qui m’anime, c’est de trouver des solutions concrètes pour concilier le développement des énergies renouvelables et la préservation de la biodiversité. Ce projet en faveur de l’Aigle royal, développé et implémenté par la société Q Energy mais que nous nous engageons à faire vivre suite au rachat du parc renouvelé en 2023, est l’aboutissement de cette philosophie : montrer qu’on peut agir de manière innovante pour protéger la biodiversité, même dans des contextes complexes comme l’éolien.

En quoi cette mesure est-elle innovante, selon toi ?

Ce qui rend cette mesure intéressante et exemplaire, c’est son approche globale et sur le long terme. En effet, cette mesure a fait l’objet d’une démarche d’analyse du territoire, en prenant en compte le fait que les milieux de chasse pour l’espèce avaient fait l’objet d’une perte de surface sur le territoire lors de ces dernières décennies en raison de l’urbanisation croissante et de la fermeture des milieux liée à la déprise agricole. Souvent, les mesures compensatoires se limitent à des actions ponctuelles, comme planter des arbres ou recréer des zones humides. Ici, nous avons travaillé sur un écosystème entier : 130 hectares de milieux restaurés et entretenus pendant 25 ans, avec un suivi naturaliste rigoureux. A ma connaissance, c’est la première fois qu’un projet éolien inclut une mesure aussi ambitieuse pour une espèce emblématique comme l’Aigle royal. L’objectif est d’améliorer la fonctionnalité écologique du site pour qu’il soit encore plus favorable à la biodiversité qu’auparavant, et particulièrement pour qu’il soit attractif à un couple d’Aigles royaux comme zone de chasse. L’Aigle royal est considéré comme une espèce « parapluie », c’est-à-dire qu’en protégeant son habitat et ses conditions de vie, on protège également de nombreuses autres espèces qui partagent le même écosystème. Ainsi, le développement de cette mesure sera favorable à d’autres espèces locales comme le Circaete Jean-le-Blanc, le Busard cendré, le Faucon pèlerin ainsi que, de façon générale, pour les oiseaux mais aussi pour les insectes, les reptiles et la flore.

Pourquoi est-ce si important pour toi de mettre en place des mesures de cette importance en faveur de la biodiversité ?

Parce que la protection de la biodiversité n’est pas une option, mais une nécessité absolue dans la lutte contre son érosion. Il ne suffit plus de mesures symboliques ou de simples stratégies de « greenwashing ». La lutte contre le changement climatique doit se faire main dans la main avec la lutte contre l’érosion de la biodiversité, et cela passe par la mise en place de mesures robustes comme c’est le cas pour cette mesure en faveur de l’Aigle royal.

Il est essentiel de mettre en place des actions significatives en faveur de la biodiversité, car certains projets ont un impact sur certaines espèces. C’est le cas de l’Aigle royal face au parc éolien de Souleilla. Pour répondre à ces enjeux, il est crucial de mobiliser le génie écologique afin de déployer des mesures adaptées, scientifiquement fondées, respectueuses de la biodiversité et intégrées au paysage. Ces actions doivent être portées par des acteurs locaux engagés, avec pour objectif à la fois la préservation des espèces et la compensation des impacts environnementaux.

Avec ce projet, nous prouvons qu’une approche sérieuse est possible : en travaillant avec des experts, en impliquant les acteurs locaux tels que l’Office National des Forêts (ONF) et la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) Occitanie, mais aussi en suivant des protocoles naturalistes rigoureux. Il s’agit de replacer la nature au cœur des projets de développement et de responsabiliser les entreprises. Oui, il est possible de construire des éoliennes, mais à la condition d’évaluer leur impact sur la biodiversité et d’adopter des mesures concrètes pour la préserver.

Qu’est-ce que ce projet t’apporte personnellement, et que souhaites-tu qu’il inspire à d’autres ?

Ce projet m’apporte avant tout la conviction qu’avec du dialogue, du temps et une véritable collaboration entre des acteurs aux intérêts parfois divergents, il est possible de mettre en place des mesures concrètes et efficaces pour préserver la biodiversité. Voir des organismes comme l’ONF, le PNR Corbières-Fenouillèdes, les bureaux d’études et les développeurs d’énergies renouvelables travailler ensemble dans un objectif commun est extrêmement inspirant. J’espère que ce projet montrera qu’il est possible de concilier développement d’énergies renouvelables et protection de l’environnement, à condition d’y mettre l’engagement, la créativité et la rigueur nécessaires. J’aimerais qu’il serve d’exemple, non seulement dans le domaine de l’éolien, mais aussi dans d’autres secteurs, en prouvant que l’on peut construire autrement, avec une réelle prise en compte de la biodiversité.

Isabella Rubini
Chargée d’études environnementales chez ERG Spa