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L’éolien en mer : un levier de reconquête industrielle et un atout pour l’export … à condition d’avoir une politique cohérente

Éolien en mer
5 juin 2025

Alors que la France affiche des ambitions de souveraineté énergétique, l’éolien en mer, qu’il soit posé ou flottant, s’impose comme un moteur industriel puissant, notamment dans les zones portuaires. Des investissements massifs ont été engagés, des chaînes de production se mettent en place, et des milliers d’emplois sont en jeu. Pourtant, sans visibilité sur le long terme ni politique cohérente de soutien, la dynamique amorcée risque de s’essouffler, voire de s’effondrer.

L’éolien en mer un levier de reconquête industrielle

L’essor de l’éolien en mer en France, qu’il soit posé ou flottant, s’impose comme un levier stratégique de redynamisation industrielle dans les zones portuaires. Il ne s’agit plus uniquement de produire de l’électricité décarbonée : chaque projet offshore transforme en profondeur l’économie des territoires littoraux, en mobilisant les ports, les sous-traitants, les centres de formation et les collectivités locales.

L’éolien en mer posé est déjà une réalité en France et n’est pas réservé à « nos voisins de la mer du Nord ». La France compte actuellement trois parcs en exploitation (pour une puissance cumulée de 1,5 GW), trois parcs en construction (1,5 GW également), ainsi que deux projets en développement représentant une puissance totale de 4,6 GW.

Cette filière est un levier concret de développement économique. Fin 2023, elle représentait déjà 8300 emplois directs en France. Ces emplois, non délocalisables, génèrent de la valeur à l’échelle locale et contribuent à l’attractivité des territoires, c’est pourquoi les régions soutiennent aujourd’hui sans réserve le déploiement de l’éolien en mer. Le tissu industriel de l’éolien en mer renforce notre souveraineté industrielle et participe au rayonnement économique de la France via leurs exportations pour les marchés voisins. D’ici 2035, la filière éolienne en mer devrait représenter au moins 20 000 emplois (directs et indirects) sur le territoire.

La France est également la pionnière de l’éolien flottant dans le monde, dont le potentiel mondial s’élève à plus de 260 GW, dont 115 GW dans des pays voisins tels que l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Irlande a tout à gagné en développant cette technologie. Ce contexte offre à la France des opportunités concrètes de développement à l’export, venant conforter sa stratégie de souveraineté énergétique et industrielle. Au moment où la France fait la course en tête, un signal de « stop & go » par la réduction des objectifs en matière d’éolien en mer, et notamment flottant, serait extrêmement préjudiciable pour notre industrie et à contre-courant de la voie empruntée par nombre de nos pays voisins.

Afin de consolider ces retombées économiques et industrielles, incarnées par les usines des entreprises citées plus haut, il est essentiel de maintenir le cap fixé par l’État dans le cadre du Pacte éolien en mer, signé en mars 2022 avec la filière : 18 GW en service à l’horizon 2035, et 45 GW d’ici 2050.

Brest, Port-la-Nouvelle, Fos sur mer… les nouveaux hubs de l’éolien boostent l’activité économique de nos littoraux

Le port de Saint-Nazaire est devenu un pôle emblématique du développement de l’éolien posé avec le premier parc offshore français (480 MW, mis en service en 2022). Ce projet a généré plus de 2 500 emplois directs et indirects durant la phase de construction et a entrainé l’implantation de PME souse-traitantes locales dans la métallurgie, l’usinage, la logistique ou encore l’électronique embarquée. Le chiffre d’affaires généré par ces activités industrielles est estimé à plus de 600 millions d’euros sur le cycle de construction du parc.

À Cherbourg, l’usine LM Wind Power (filiale de GE) fabrique des pales d’éoliennes offshore de plus de 100 mètres, destinées aux marchés français et européens. Elle emploie environ 400 personnes et stimule un tissu industriel régional. Des entreprises comme Allia, Manoir Industries ou InnoTech contribuent à la chaîne de valeur, générant elles aussi des dizaines de millions d’euros de retombées.

Le port du Havre a connu un véritable basculement industriel avec l’arrivée de Siemens Gamesa. Sa giga-usine de pales et de nacelles, construite sur le terminal de Port 2000, représente un investissement de plus de 450 millions d’euros et prévoit 750 emplois directs à terme. À cela s’ajoute un effet d’entraînement sur l’ensemble de la filière régionale normande, avec un tissu de plus de 100 sous-traitants mobilisés, notamment dans le BTP, l’ingénierie, le transport lourd et les services portuaires.

À Brest, plus de 220 millions d’euros d’investissements publics ont permis la création d’un terminal EMR. Le site est désormais capable d’accueillir les projets de grande envergure, et attire des industriels comme Eiffage Métal ou Navantia. Là encore, des centaines d’emplois ont été créés, avec un réseau de sous-traitants bretons actifs dans les structures métalliques, le levage, la soudure spécialisée et le génie civil.

Du côté de l’éolien flottant, la dynamique est plus récente mais tout aussi prometteuse. En attribuant le tout premier parc éolien en mer flottant au monde, la France a fait le choix stratégique de devenir un leader mondial de l’éolien en mer flottant, afin de valoriser un potentiel déjà identifié de plus de 35 GW d’ici 2050. Ce positionnement précurseur est un avantage stratégique ayant permis de faire de cette filière un vecteur de réindustrialisation. Les investissements industriels engagés – notamment plus de 1,3 milliard d’euros annoncés par plusieurs ports français – doivent permettre à notre pays de maintenir son statut de hub industriel européen capable de répondre à la demande croissante en équipements éoliens flottants à l’échelle mondiale.

Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, a par exemple engagé 230 millions d’euros pour adapter ses quais à la fabrication et à l’assemblage de flotteurs. Des projets pilotes comme ceux de Provence Grand Large (près de Fos-sur-Mer), éoliennes flottantes du Golf du lion ou EolMed mobilisent des consortiums industriels français et internationaux. Ces projets permettront à terme la structuration d’un écosystème d’ingénierie et de construction navale, avec des retombées estimées à plus de 1 milliard d’euros par gigawatt installé.

L’éolien en mer posé déjà compétitif, l’éolien flottant en phase de maturation

Comme l’a rappelé le Premier ministre François Bayrou lors de ses interventions à l’Assemblée nationale le 28 avril et au Sénat le 6 mai, l’éolien en mer posé constitue aujourd’hui une technologie particulièrement compétitive. Le tarif du dernier parc attribué en France s’élève à 45 €/MWh hors raccordement. Cette compétitivité s’explique notamment par un facteur de charge moyen de plus de 40% avec des pointes de production en hiver, lorsque nous avons le plus besoin d’électricité pour répondre à notre consommation. En y ajoutant le coût du raccordement, ce tarif atteint tout au plus 70 €/MWh, positionnant ainsi l’éolien en mer posé parmi les sources d’électricité les plus compétitives.

Concernant l’éolien en mer flottant, il est exact que cette technologie est aujourd’hui moins mature, et donc moins compétitive, que l’éolien posé. Néanmoins, elle connaît des avancées majeures. En mai 2024, la France a attribué le tout premier parc éolien flottant à échelle commerciale au monde, à un tarif de 86,45 €/MWh (hors raccordement). Deux autres parcs commerciaux ont depuis été attribués à 85,90 €/MWh et 92,70 €/MWh (hors raccordement). Même en incluant les coûts de raccordement, ces premiers projets, têtes de série de la filière flottante, affichent des niveaux de prix très compétitifs pour une technologie en cours de développement industriel. Dans son projet de Schéma décennal de développement du réseau (SDDR) 2025, publié en février, RTE anticipe pour les parcs flottants de la PPE2 et de la PPE3, un prix moyen, raccordement compris, de 125 €/MWh. De plus, à l’image de ce qui a été observé pour l’éolien en mer posé, ces coûts sont appelés à diminuer drastiquement grâce aux économies d’échelle et à l’apprentissage industriel.

Une politique de stop and go néfaste pour l’économie et la décarbonation de la France

Maintes fois repoussée la publication de la PPE3 et dans la continuité la publication l’AO10 d’une puissance totale de 8-10 GW confirmé à plusieurs reprises par le gouvernement est désormais urgent. Grâce à cet AO de nombreuses retombées économiques sont attendues. Notamment, l’implantation potentielle d’une usine de câbles sous-marins sur notre territoire permettrait de renforcer la puissance industrielle de notre pays en matière de raccordement éolien en mer, venant s’ajouter à l’expertise des Chantiers de l’Atlantique qui produisent des sous-stations électriques sur leur site de Saint-Nazaire. A la clé pour l’industriel qui acceptera d’installer cette nouvelle usine en France des commandes de l’ordre de « 10 milliards d’euros », indique RTE.

L’éolien en mer est un levier de renaissance industrielle pour les ports français et notre industrie. Mais sans vision politique à long terme et la confirmation des objectifs annoncés, le risque est grand de voir cette dynamique se retourner, laissant derrière elle des infrastructures inutilisées, un gâchis industriel majeur et la destruction de milliers d’emplois. Le moment est crucial : il faut transformer l’essai pour faire de la France un leader européen de l’éolien en mer… et de l’industrie portuaire décarbonée.